Si c’est le premier article que je poste ici, c’est peut être parce que c’est en m’entendant recommander une fois de plus (environ la 27ème en quelques années) de rejoindre le réseau social Linkedin (et l’interlocuteur du moment la faisant s’étonner pour la 22ème environ que ça ne m’emballe pas – et d’autant moins que j’y ai déjà eu un compte, que j’ai fini par supprimer, l’ambiance de celui ci m’inspirant peu), que j’ai décidé de franchir le pas, à défaut « d’axer ma communication sur les réseaux sociaux » (ce qui me fut recommandé environ… encore plus de fois depuis que j’envisage une création d’activité en rapport avec l’informatique) d’associer un blog à mes pages pour en avoir une.
J’allais écrire « et de m’y justifier une fois pour toute quant à ce choix », mais tout le problème quelque part est que normalement je ne devrais absolument pas avoir à le faire concernant celui de faire appel ou non aux services de telle ou telle méga-corporationLinkedin est une filiale de Microsoft. pour « me vendre ». Surtout quand on parle de services déjà largement fournis par d’autres acteurs, y compris publics.
Pour avoir le malheur d’avoir longtemps eu à faire appel aux siens, je suis bien placé pour saluer, entre autres, les efforts faits par Pôle Emploi (qui partait de loin) pour se doter d’une plateforme valant largement celle de tout acteur privé, pour ce qui est d’offrir aux demandeurs la capacité de lister précisément leurs compétences, expériences et qualités (et même de les tester à l’aide de nombreuses applications intégrées et d’en publier les résultats, dans ses dernières évolutions), et bien entendu de communiquer avec des employeurs potentiels ; et à ceux ci (enfin s’ils l’utilisaient, ce qui ne semble hélas pas gagné dans certains secteurs) de trouver les candidats correspondant à leurs attentes à partir de ces informations (ayant en prime bien plus de chances d’être exactes qu’ailleurs, mentir sur le site de l’organisme le plus à même de vérifier un cv, et dont le demandeur d’emploi dépend pour son indemnisation, étant autrement risqué que sur un site privé).
Normalement pour tout ce qui est recherche d’emploi, ce site un peu par définition le plus spécialisé, devrait largement suffire à proposer ses services. Ce qui n’empêche jusqu’à un certain nombre de conseillers pôle emploi que j’aie pu croiser de faire plutôt de la réclame pour des alternatives privées (et souvent en dénigrant leur propre site au passage). Personnellement quand je pense à l’argent public investi dans les multiples refontes de leur portail (sans même parler de celui gaspillé dans les multiples rebrandings de cette structure, qu’on appelait ANPE dans ma jeunesse et France Travail aujourd’hui), ça me rend quand même un peu triste.
En parlant d’alternatives, il n’y a pas que Linkedin, mais tout un ensemble de plateformes privées (plus ou moins prisées par les acteurs de tel ou tel secteur) dont certaines sont de grande qualité (je citerai par exemple Indeed, Hellowork et Welcometothejungle pour celles que j’ai fréquenté), et d’autres sites plus locaux (de technopoles ou pépinières d’entreprises particulières) qui proposent des services similaires, et se suffiraient normalement tout à fait à elles mêmes (si elles cèdent souvent elles aussi à la manie des réseaux sociaux en proposant de lier des comptes Linkedin ou autres à leurs profils).
Et si on parle de mise en relation entre professionnels indépendants et clients, il y a là encore tout un ensemble de sites spécialisés (comme Malt, celui où j’ai décidé de proposer mes services, ou d’autres comme Codeur) qui eux aussi n’auraient a priori pas besoin que quiconque soit sur Linkedin pour fonctionner.
Quant à la communication en général, il existe … internet, la possibilité d’y créer des sites, des blogs, d’y participer à une quasi-infinité d’espaces de discussions de tout types (et même d’y présenter des portfolios et CVs sous toutes formes imaginables – comme le lien en haut à droite de cette page en témoigne).
L’endroit où on vous recommande d’être ne remplis que des fonctions déjà remplies par d’autres
L’endroit où tout le monde vous recommande d’être, en gros, ne remplis que des fonctions déjà remplies par d’autres (et des autres souvent plus spécialisés), à une chose et demi près, être un réseau social et être le plus utilisé pour de la communication à caractère professionnel.
Certes on pourrait considérer que ça en fait une meilleure option, pour celle ci, que de lui préférer le plus utilisé pour poster des photos de chats, des selfies trafiqués ou celui consacré aux hot-takes politiques aléatoires (désolé aux réseaux qui se reconnaîtront), mais ça n’explique pas vraiment pourquoi, quand on a d’autres objectifs à la base que de rejoindre un réseau social, il soit vu comme une quasi-obligation d’en rejoindre un.
Ce qui nous amène à la question des réseaux sociaux en général.
Je vous surprendrai peut être en disant que je suis plus impressionné par ce que permettent ces outils de communication qu’allergique à ceux ci. Si j’étais technophobe je ne ferais certainement pas du développement informatique. Et même si j’ai une grande nostalgie pour l’internet décentralisé du temps de mes premières connexions, je ne puis reconnaître qu’ils ont rendu les interactions entre ses utilisateurs bien plus pratiques (ce qui n’est pas un mérite négligeable, permettre à des utilisateurs du monde entier d’échanger étant après tout l’intérêt premier d’internet). Et je serais d’autant moins bien placé pour reprocher à quiconque de les utiliser que j’étais très actif sur pas mal d’entre eux à une époque (et que même si je lui suis moins, et ai fermé la moitié de mes comptes, j’en demeure un utilisateur occasionnel).
Mais je ne m’intéresse pas qu’à la technologie, mais aussi à ses implications, à l’économie de l’attention qu’ont contribué à mettre en place ces réseaux et la recherche de viralité qu’ils favorisent et aux mécanismes psychologiques qu’ils exploitent pour se rendre addictifs. En partie par nécessité professionnelle mais aussi en tant que citoyen. Et si fabuleux soient ces outils on ne peut que constater qu’au niveau de la société ou des tendances qu’ils favorisent chez certains individus le bilan du Web 2.0 est bien plus mitigé. Sans même parler de l’aspect politico-économique, le pouvoir qu’ils conduisent à accorder au petit nombre de multinationales qui les gèrent.
En conséquence, si je comprend tout à fait au vu des avantages qu’ils peuvent apporter ceux qui choisissent d’y être beaucoup plus présents que moi (ou qui, pleins de bonnes intentions, en vantent les avantages), je trouve essentiel qu’être ou non présent sur tel ou tel réseau demeure précisément un choix plutôt qu’une norme à laquelle il faudrait se justifier de ne pas souscrire. Ce que certains sont de plus en plus devenus dans certains corps de métiers (qu’on parle de Linkedin pour quasiment toutes les activités de type « col blanc », d’Instagram pour les modèles ou professions artistiques, de Twitter/X pour les journalistes, etc. de plus en plus soigner son image sur tel ou tel réseau social est traitée comme un prérequis).
Alors qu’il y a toutes sortes de raisons largement admises de conserver une distance critique envers les réseaux sociaux et l’impact qu’ils ont sur la société, la société elle même ne semble ne voir aucun problème à contribuer à en systématiser l’usage
On en est au point où des institutions publiques ou leurs sous-traitants, jusque dans les contrats établissant les engagements de demandeurs d’emplois ou de bénéficiaires du RSA, ne voient pas de problème à faire directement et nommément référence à ces entreprises privées (et même pas européennes). Je ne dis pas que ce soit mal intentionné, ou un mauvais conseil pour se faire une place dans certains milieux hélas effectivement subjugués par ceux ci, le problème c’est quand ce conseil ressemble de moins en moins à un conseil mais à une injonction (voire obligation pouvant conduire à sanctions si non respectée si on parle de ce type de contrat).
Alors qu’il y a toutes sortes de raisons largement admises de conserver une distance critique envers les réseaux sociaux, les corporations qui les administrent et l’impact qu’ils ont sur la société, la société elle même ne semble ne voir aucun problème à contribuer à en systématiser l’usage, dès qu’ils lui promettent de, peut-être, favoriser l’insertion de quelques personnes qu’elle peine à intégrer.
Ce qui découle, je pense, d’une très large surestimation de ce que les réseaux sociaux peuvent apporter en la matière.
J’avais une fois demandé à l’un de mes nombreux collègues me faisant la réclame de Linkedin (et consacrant facilement sept ou huit heures par semaine à y échanger pour développer son réseau et image professionnelle) combien de contrats environ ça lui rapportait par an.
Bien en peine de me répondre il finit par me dire « j’en ai eu au moins deux par là » (des proposition directes de contacts auxquelles il avait répondu), ce qui était plutôt maigre en 5 ou 6 ans de présence et compte tenu des centaines « d’amis » virtuels qu’il s’y était fait, « … mais certainement d’autres clients ont dû y aller voir mon profil ». Sans même douter de ce dernier point, et sachant par ailleurs que ledit profil ne pouvait que séduire (bac+5, issu d’une école d’ingénieurs et avec une solide expérience dans de grandes entreprises à afficher) ça m’a fait tout de même m’interroger sur le rendement de l’énergie qu’il y déployait (et comment il pouvait considérer cela comme une meilleure option que, par exemple, tout simplement transmettre le même excellent cv en répondant à des offres de travail sur des plateformes spécialisées comme codeur ou autre – ce qu’il faisait aussi, en plus, et qui lui rapportait là des contrats réguliers, mais bizarrement ne vantait pas tant que la « nécessité » de se développer « un réseau » sur Linkedin). Et je doute quelque peu qu’en développer un soit beaucoup plus profitable à des gens qui n’auraient pas son genre de profil, susceptible d’intéresser jusque des chasseurs de tête professionnels. (Et quant à l’hypothétique qui ne saurait chasser que dans la forêt des profils de ce site particulier, c’est peut-être lui qui devrait apprendre son métier.)
on essaye de faire passer ce qui devrait être vu comme un loisir comme relevant d’une nécessité professionnelle
La vérité c’est que les réseaux sociaux ont une dimension addictive, et que comme quant à toute autre activité addictive, leurs accros ont tendance à perdre toute notion critique quand ils les évoquent, en plus de celle du temps qu’ils y consacrent.
En soi ça n’en fait pas quelque chose de mauvais, rien n’est plus flatteur pour un loisir quel qu’il soit, qu’il puisse s’avérer si passionnant qu’il en arrive à être pour ses utilisateurs comme une drogue. Mais ça devient quelque peu problématique quand on essaye de faire passer ce qui devrait être vu comme un loisir comme relevant d’une nécessité professionnelle.
Le genre de confusion dont on peut voir l’aboutissement le plus sordide en suivant l’activité sur Twitter, pardon X, d’Elon Musk, l’addict en phase terminale d’un réseau social devenu son patron, qui semble de plus en plus incapable de faire la part des choses entre ce que son addiction lui dicte (comme augmenter artificiellement la visibilité de son propre compte, y poster toute sornette qui lui passe par la tête, ou changer les règles de sa plateforme tous les 4 matins pour y rester le centre de l’attention) et l’intérêt de l’entreprise qu’il possède (comme absolument éviter de faire à peu près tout ce qu’il y fait).
Ou, pour prendre un exemple (légèrement) moins extrême, toujours sur X, le nombre d’universitaires, d’essayistes, de journalistes, etc. qui y sont théoriquement pour mettre en avant leur expertise, mais finissent par y consacrer l’essentiel de leur temps à des échanges de petites phrases dignes de politiciens des années 80, en mode café du commerce, sur les sujets d’empoignades partisanes du jour, n’en arrivant qu’à nuire à ce qu’on les prenne au sérieux quand ils évoquent ceux sur lesquels ils ont réellement travaillé.
Linkedin, encore, est probablement moins touché par ce dernier phénomène, dans la mesure où son image de « réseau professionnel » entraîne la plupart de ses utilisateurs à y éviter tout propos qui pourrait être vu comme trop polémique, au moins en théorie.
Un réseau où tout le monde évite tout propos qui pourrait être vu comme trop polémique… Au moins en théorie
Car évidemment ça s’applique nettement moins aux odes à l’ultra-libéralisme le plus débridé et autres expressions de classisme, discours sur la fainéantise des chômeurs, des jeunes ou autres subalternes, complaintes au sujet de la fiscalité ou de l’existence de réglementations, qui du fait même de cette culture « professionnelle » ont tendance à pouvoir s’y exprimer sans rencontrer d’opposition.
Tout comme pas grand monde n’y réagit aux auto-congratulations et vantardises souvent délirantes qu’y postent en boucle certains utilisateurs, et encore moins aux abus de langage managérial loin d’être idéologiquement neutres qui y pullulent, m’évoquant irrésistiblement les conférences gesticulées de Franck Lepage sur le sujet.
Quant à la nouvelle mode locale, mêlant au bullshit habituel références pseudo-philosophiques et anecdotes personnelles « inspirantes », il me semble permis de trouver qu’elle ne rend le tout qu’encore pire.
S’il me fallait absolument une raison pour ne pas être sur Linkedin, je me laisserais probablement aller à évoquer celle ci : je ne me reconnais tout simplement pas dans le type de discours (ou faudrait-il dire les « valeurs » ?) qu’on rencontre le plus sur ce réseau.
Mais je m’en voudrais ce faisant de sombrer dans un autre travers que favorisent énormément les réseaux sociaux, celui des généralisations abusives. Ce « dis moi où tu poste, qui tu suis, quels posts tu apprécie, je te dirai qui tu es et jugerai en fonction de ça» qui, venant s’ajouter aux maintes catégorisations douteuses qu’affectionne la sociologie de comptoir, contribue à diviser toujours plus la société en groupes incapables de ne pas se détester. Comme si les I.As de recommandation ayant appris à exploiter ces informations pour offrir à chacun une publicité adaptée ne suffisaient pas, il faut encore que de plus en plus de monde, sans même y être forcé, se soit mis à régler sa vie sociale sur le même genre de critères.
En fait je ne doute même pas que dans l’immense variété de profils qui se trouvent sur Linkedin il y en a certainement un paquet que je pourrais apprécier, et même quant à ceux qui m’insupporteraient, je leur accorderai volontiers la circonstance atténuante de chercher simplement à se donner une image les favorisant professionnellement, sans que cela implique rien d’autre quant à qui ils sont derrière ce masque (ne pas réduire la personne à sa persona, dirait Carl Gustav Jung). J’assume juste avoir plus que la flemme de chercher les uns ou à comprendre les autres.
Ceci étant dit, si des gens sont sur Linkedin et même y tiennent le genre de discours attendus de ses utilisateurs, et que ce soit parce qu’ils apprécient d’y être ou parce qu’ils y voient un intérêt , grand bien leur fasse, cela me semblerait aussi absurde de le leur reprocher (ou d’en tirer quelque autre conclusion sur leur personne que ce soit) que de me reprocher à moi de ne pas y être.
Reste l’argument qu’on me sort typiquement chaque fois que le sujet est abordé : en n’y étant pas je passerais paraît il à coté de potentielles opportunités (ce qui, dans les discours moyens des divers acteurs de mon parcours professionnel que j’ai vu faire la réclame de Linkedin, serait quasiment criminel). Personnellement je le trouve plutôt amusant, sachant qu’en n’appelant pas systématiquement toutes les entreprises et autres clients susceptibles de faire appel à mes services, en ne me baladant pas avec un panneau « recrutez moi » dans la rue, en ne mettant pas mon cv en signature du moindre de mes mails, en parlant même parfois d’autres choses que de boulot, et pire j’ai même des loisirs, je passe certainement à coté de cent fois plus d’opportunités (et ayant bien plus de chances d’être réelles) qu’en n’étant simplement pas sur ce réseau social particulier, mais que même les plus acharnés à faire mon bien malgré moi n’iront pas me le reprocher.
Puis s’il faut parler de calcul et d’opportunités, qu’est ce qui a le plus de chances de permettre à quelqu’un de se démarquer dans un secteur comme le mien ?
Je doute quelque peu que ce soit d’aller tenir le même genre de discours que tout le monde sur le réseau où tout le monde est.
Même si ce n’était pas sincère, être le rare informaticien à ne pas donner dans du techno-positivisme débridé (comme on le verra sans doute quand j’aborderai le sujet des IAs), le rare entrepreneur à ne pas cacher son aversion pour le langage de markéteux et autres bullshitages, le rare professionnel du web à ne pas vanter sa présence sur les réseaux sociaux (et à évoquer plutôt les travers de l’économie de l’attention, autre sujet que je compte développer ici), ne me semble pas la pire des stratégies de communication possible.
Au point qu’après avoir pas mal hésité, considéré ne pas relier ce genre d’article aux pages où je propose mes services, tenir un blog séparé et anonyme pour les posts qui ne seraient pas assez consensuels, j’ai fini par me dire autant le faire. Il y a certainement au moins autant de chance que j’y gagne quelques clients aussi critiques d’un certain nombre de choses que moi, que d’en trouver en jouant le rôle de quelqu’un que je ne suis pas (d’autant que je soupçonne qu’il ne peut y avoir que bien plus de concurrence à ce dernier niveau :).
Après tout, être soi même n’est il pas la base de tout bon personal branding ?
Argh… Je n’aurais jamais dû aller traîner sur Linkedin pour préparer cet article, c’est que c’est contagieux en plus cette saloperie. 😉
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