Une nouvelle qui m’a pas mal touché, juste après la fin de ma dernière formation en informatique, celle aboutissant au titre de Concepteur Développeur d’Applications Web que j’avais effectuée avec eux, a été d’apprendre la disparition soudaine du Groupe AEN (pour Association pour l’Enseignement du Numérique), en juillet 2023. Et d’autant plus qu’absolument rien que j’aie pu voir sur son campus de Dax ne donnait signe qu’il soit moribond et allait être brutalement liquidé par décision judiciaire, à peine 3 mois après que nous l’ayons quitté, mes camarades de formation et moi.
Gérant sept campus, principalement dans le Sud-Ouest mais également jusqu’à Lille ou Maubeuge (et ayant aussi essayé de s’implanter dans la région de Nice), et venant de se lancer dans la formation professionnelle pour demandeurs d’emploi en plus des cursus plus universitaires qu’il assurait déjà et d’autres en partenariats avec de grandes entreprises comme Airbus, et le tout dans un secteur qu’on ne pourrait qu’imaginer très soutenu par les pouvoir publics, il donnait plutôt l’impression d’avoir le vent en poupe. Si étudiant là bas, j’avais vaguement entendu parler des difficultés qu’il avait comme bien d’autres structures rencontré depuis la période Covid, il apparaissait assez évident qu’elles ne pouvaient être liées qu’à cette conjoncture passagère (si ses conséquences s’étendaient probablement un peu au delà, avec des étudiants choisissant d’autres voies que l’informatique par lassitude de vivre enfermés, ou d’autres ayant pris goût au distanciel privilégiant désormais les formations du style OpenClassrooms).
Quoi qu’il en soit il était difficile d’imaginer qu’aucune solution ne serait trouvée pour sauver de la ruine une association se dédiant à une mission jugée aussi prioritaire par nos gouvernants que la formation d’un maximum de français aux métiers du numérique. En particulier quand la formation professionnelle est un secteur où (hors quelques institutions publiques comme le CNAM) la quasi-totalité de la concurrence est à but lucratif, c’est à dire naturellement moins encline à investir tout son bénéfice dans l’expansion de ses activités (et bien plus à se prendre une grosse marge sur les services qu’elle fournit aux collectivités et organismes publics en charge de financer des formations).
Des courts échanges avec Jean-Michel Tallavera, le fondateur d’AEN, que j’avais eu lors d’une des ses visites au campus de Dax (l’administration centrale d’AEN étant plutôt basée à Agen) je retiens d’ailleurs surtout sa fierté d’avoir réussi à développer la seule « loi de 1901 » du secteur, faisant de ce qui était à l’origine une petite structure locale une véritable institution employant près d’une centaine de personnes dans plusieurs régions, reconnue comme fournissant une formation d’excellente qualité (conduisant 94% de ses étudiants à trouver un emploi dans les 6 mois, si je me rappelle bien de ses chiffres). Bien qu’il apparaissait inquiet de ce qu’il percevait comme un désintérêt soudain des jeunes pour ces carrières, je ne pense pas du tout qu’il envisageait voir l’association dissoute moins de 6 mois plus tard. S’il l’avait placé sous sauvegarde il devait plutôt croire que ça conduirait à la voir… sauvegardée plutôt qu’à une liquidation judiciaire (surtout que jusqu’à l’exercice 2020 elle était largement bénéficiaire).
Après n’ayant aucune connaissance particulière du dossier, des comptes d’AEN, je n’irais pas forcement dire que cette décision de justice était forcement injustifiée, peut être que sa situation était vraiment telle qu’il n’y avait plus à ce stade d’autre option. Mais pour qu’alors qu’elle en arrive à cette situation il y a bien dû y avoir des décideurs (qu’on parle de ceux de subventions publiques ou des entreprises avec qui elle avait des partenariats) qui alors qu’ils avaient les moyens de la sauver ont décidé de ne pas le faire, et connaissant la qualité tout à fait reconnue de son enseignement je me perd en conjectures quant à savoir pourquoi. Surtout qu’il semblerait que les campus d’AEN n’aient pas eu de problème à trouver repreneur privé ce qui me semble indiquer qu’ils n’étaient pas sans perspective de rentabilitéEnfin évidemment, vu que le repreneur s'est empressé de licencier la moitié des professeurs, sans que les prix des formations baissent à ma connaissance, ceci explique peut être cela..
Une hypothèse que me soufflerait mon petit doigt serait que sa nature associative n’a pas vraiment été un atout pour elle, à devoir faire face à une génération de politiques qui méprisent le secteur non marchand. Ayant été jeune au millénaire dernier, et longtemps travaillé dans l’associatif, je me rappelle d’une époque où ils cherchaient au contraire à le favoriser (et de l’explosion culturelle qu’il y avait eu grâce à ça), et ça ne me fait que plus réaliser qu’on a sombré dans une période complètement différente à cet égard, où l’avidité s’est mise à être considérée comme une vertu (ou au moins où tout est devenu prétexte à fermer le robinet du plus de subventions possibles, pour faire des économies de bouts de chandelle, et quitte à handicaper l’avenir). Cherchant quelques sources sur ce qui avait pu arriver à AEN je suis d’ailleurs tombé sur un article citant une délibération d’une communauté de communes où elle cherchait à s’implanter, qui en dit long sur comment elle pouvait être perçue « il s’agit d’une école créée par une association elle ne sera donc absolument pas reconnue par l’Éducation Nationale » y disait un conseiller municipal de Menton. Déjà c’est évidemment faux qu’une école associative ne puisse pas être reconnue par elle (il existe même un paquet de statuts, « instituts partenaires », « écoles sous contrat », « association agréée par telle ou telle académie » etc. convenant à des structures associatives autant qu’à but lucratif), d’autre part AEN étant une structure d’enseignement de 3ème cycle, formant jusqu’à des ingénieurs bac +6 en leur faisant préparer des diplômes d’état, sa reconnaissance ne posait pas vraiment question, pourtant le premier réflexe à l’idée de la soutenir semblait être, puisqu’elle est associative ce ne saurait être une structure d’enseignement complètement aussi valide qu’une vraie université (alors que pas grand monde ne semble se soucier de ça dans le cas des nombreux organismes privés faisant de la formation professionnelle, au point qu’on les laisse se qualifier d’agréés en la matière quand c’est en fait un simple synonyme de « déclaré »).
C’est peut être ce qui faisait qu’AEN avait tendance à surjouer son coté sérieux, pro et pro-business à un point que je trouvais limite gênant quand j’étais en formation avec eux. Ils étaient plutôt à l’opposé complet des clichés qu’on peut avoir sur une association, hyper pointilleux sur les questions de présence, de retard ou même de bonne tenue vestimentaire des élèves, faisant de la publicité gratuite à des réseaux comme Linkedin jusqu’à consacrer des journées de cours de « techniques de recherche d’emploi » à s’y développer un profil (je me sentais bien seul à avoir refusé d’y mettre les pieds pour préférer consacrer ce temps à me développer un site web portfolio), avait un partenariat avec la multinationale Cisco nous déléguant un professeur (passant surtout son temps à faire la publicité des solutions de celle ci) pour préparer son brevet de cybersécurité, ne cessait d’insister sur les expériences « dans le monde de l’entreprise » de leurs professeurs, etc. Sans oublier le rebranding un peu ridicule de l’Association pour l’Enseignement du Numérique en « Groupe » AEN, espérant sans doute faire oublier qu’elle en était une en s’affublant d’un nom sonnant comme celui d’un conglomératEt dans la série démarche marketing développant aussi toute une série de marques pour ses différents campus et formations, les baptisant Intech, Formici, Liwi ou encore d'autres noms plutôt que d'utiliser simplement AEN (au prix de faire refaire à chaque fois des logos et tout le matériel imprimable en x versions, ça peut même être un des facteurs ayant contribué à ses mauvais résultats financiers).. On était plutôt aux antipodes de l’image de joyeuse anarchie et de déconnexion d’avec le monde capitaliste habituellement associés aux associations. Ce qui quelque part de mon point de vue est un peu le plus triste, non seulement ces structures ne sont plus aussi soutenues qu’en d’autres temps mais en plus celles qui veulent survivre, pour peu qu’elles aient atteint une certaine taille, semblent se sentir forcées d’abandonner le coté « cool »Enfin après je ne sais pas si AEN avait jamais eu le coté joyeusement anarchique et profondément humain qui fait le charme de certaines, évidemment une association de formation à l'informatique et en compétition avec de très sérieux acteurs publics ou à but lucratif ne saurait avoir l'ambiance des structures artistiques que je fréquentais dans ma jeunesse. qu’on associe d’habitude aux structures à but non lucratif.
Mais je m’écarte du sujet. Une autre hypothèse que j’aurais c’est que même s’ils ne l’avouent pas encore, les pouvoirs publics sont un peu plus conscients des impacts à venir de l’IA qu’ils ne l’avoueraient. Qu’ils ont peut être réalisé que ça vaut peut-être un peu moins la peine de soutenir la formation de développeurs quand même une grande partie de ceux qui font déjà ce métier ont toutes les chances de se retrouver obsolètes d’ici quelques années, dès que les entreprises auront su apprendre à exploiter toutes leurs possibilités. Ça me semblerait plutôt étonnant dans le cas d’un monde politique qui donne plus régulièrement dans un positivisme débridé quant à son impact sur l’emploi mais qui sait.
Une troisième déjà évoquée plus haut serait qu’entre ça, l’envie de sortir après avoir passé leurs belles années confinés, et d’autres perspectives comme l’effondrement, les jeunesQui constituaient le public principal d'AEN, la formation professionnelle n'étant qu'une activité secondaire. sont bel et bien de moins en moins nombreux à se destiner à ce genre de métiers, beaucoup ayant réalisé qu’il est finalement plus sûr de développer des compétences moins dépendantes de la technologie. Et que ce serait un phénomène assez global pour que personne n’ait cru à un redressement possible. Pour avoir un neveu promis à de brillantes études en informatique ou autre activité du style ayant préféré s’orienter vers la carrière de barman pour le contact humain, ou me rappelant de scènes comme celle ci, je ne trouverais pas surprenant finalement d’apprendre que la génération montante préfère se diriger vers des métiers moins solitaires ou moins nuisibles à la planète, ce qui après tout ne serait pas un mal. Reste que j’aurais du mal à imaginer que les décideurs en aient conscience, ou même s’ils l’avaient soient disposé à accepter qu’ils se détournent du numérique.
En fait la plus probable est tout simplement une forme de benign neglect, si personne ne voulait vraiment sa fin, personne n’est allé sauver une association comme AEN tout simplement parce que pas grand monde ne s’en souciait (une structure non seulement associative mais dont la capitale était à Agen ayant peu de chance passionner au delà de nos profondes provinces), ou que pour le peu qui le faisaient, ils pouvaient toujours espérer que d’autres se chargent de la renflouer, ou ne voyaient pas de raison de la préférer à l’acteur privé qui a fini par reprendre ses campus (en licenciant au passage la moitié de ses professeurs, mais tant qu’on peut dire « ma ville a un campus dédié à l’informatique », ou « moi france travail j’ai des formations où envoyer des gens », on va quand même pas se soucier qu’elles restent aussi bonnes).
Quoi qu’il en soit, je finirai justement avec une pensée pour ceux que j’ai eu, qui m’ont tous semblé tout à fait compétents, mais n’en ont pas moins fini à devoir à l’improviste se chercher un autre travail (si ça n’a pas trop dû être un problème vu qu’ils l’étaient). Pas trop eu l’occasion d’en prendre des nouvelles, car le seul contact que j’avais avec eux était via le réseau interne d’AEN sur Teams (auquel nous étions supposés conserver accès pour un an en tant qu’anciens élèves mes camarades de formation et moi), qui fut brutalement coupé quelques jours après l’annonce de sa dissolution.
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